19.3.15

Ouzbékistan : des juges deviennent députés sans se démettre de leurs fonctions judiciaires

En Ouzbékistan, des juges siègent désormais au Parlement, au mépris de l’article 106 de la Constitution ouzbèke qui stipule que  “le pouvoir judiciaire de la République d’Ouzbékistan doit agir indépendamment des pouvoirs législatif et exécutif, des organisations politiques, et des autres organisations publiques”, ainsi que de la décision de justice votée en session plénière par la Cour suprême de la République d’Ouzbékistan, relative aux “amendements de plusieurs décisions de justice prises par la Cour suprême et la Haute Cour d’arbitrage de la République d’Ouzbékistan” du 3 octobre 2014.


1. Abdoukadirov Doniior Khoussanovitch, né en 1981.

Il occupe la fonction de juge à la cour d’arbitrage de la ville de Tachkent, et a été élu député dans la circonscription de Zanguiatin n°81. Il s’est présenté comme le candidat du Mouvement des entrepreneurs et des hommes d’affaires - le parti libéral-démocrate d’Ouzbékistan. Il est inscrit sur la liste électorale n°2 comme n’appartenant à aucun parti.

2. Aripov Davron Rakhimovitch, né en 1974.
Il occupe la fonction de juge au tribunal pénal d’un quartier de Tachkent et s’est présenté dans la circonscription électorale de Bekabad n°78 comme le candidat du parti démocrate d’Ouzbékistan “Milliï Tiklanich”. Il est inscrit sur la liste électorale n°10 comme n’appartenant à aucun parti.

3. Polvanov Choukhrat Tagaïmouratovitch, né en 1977.

Il occupe la fonction de juge à la Haute Cour d’arbitrage de la République d’Ouzbékistan, et s’est présenté dans la circonscription électorale de Samarkand n°60 comme le candidat du parti social-démocrate d’Ouzbékistan, “Adolat”.  Il est inscrit sur la liste électorale n°65 comme n’appartenant à aucun parti.

4. Temirkhanova Bibissanem Tadjibaevna, née en 1964.

Elle occupe la fonction de juge à la Haute Cour d’arbitrage de la République d’Ouzbékistan. Elle s’est présentée dans la circonscription électorale de Tourtkoul n°2 (République du Karakalpakistan) comme candidate du Mouvement des entrepreneurs et des hommes d’affaires - le parti libéral-démocrate d’Ouzbékistan. Elle est inscrite sur la liste électorale n°82 comme n’appartenant à aucun parti.

5. Oumarov Zakir Sabirdjanovitch, né en 1980.

Il occupe la fonction de juge à la cour d’arbitrage de la ville de Tachkent et s’est présenté dans la circonscription électorale de Darkhan n°125 comme candidat du Mouvement des entrepreneurs et des hommes d’affaires - le parti libéral-démocrate d’Ouzbékistan. Il est inscrit  sur la liste électorale n°99 comme n’appartenant à aucun parti.

6. Khamraev Alicher Chonazarovitch, né en 1968.

Il occupe la fonction  de vice-président de la cour d’arbitrage du quartier de Kachkadarin à Samarkand. Il s’est présenté dans la circonscription électorale de Taïlak n°61 comme candidat du parti démocrate d’Ouzbékistan “Milliï Tiklanich”. Il est inscrit sur la liste électorale n°112 comme n’appartenant à aucun parti.

7. Kholov Outkir Chomourodovitch, né en 1970.

Il occupe la fonction de juge à la Cour suprême de la République d’Ouzbékistan. Il s’est présenté dans la circonscription de Chakhroud n°23 comme candidat du parti social-démocrate “Adolat”. Il est inscrit sur la liste électorale n°118 comme n’appartenant à aucun parti.

8. Tsvetkov Vladislav Olegovitch, né en 1978.

Il occupe la fonction de juge à la Cour pénale de la ville de Tachkent et s’est présenté dans la circonscription comme candidat du Mouvement des entrepreneurs et des hommes d’affaires - le Parti libéral-démocrate d’Ouzbékistan. Il est inscrit sur la liste électorale n°122 comme n’appartenant à aucun parti.
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L’Association des “droits de l’homme en Asie centrale” exprime son inquiétude face aux violations du principe constitutionnel d’’indépendance de la Justice.

La présence au sein du pouvoir législatif de juges toujours en fonction suscitent de nombreuses interrogations :

            Les décisions rendues par ces juges peuvent-elles être considérées comme objectives et justes?

            Comment des juges de la Haute Cour d’arbitrage de la République d’Ouzbékistan ont-ils pu être élus députés? Alors même qu’ils résident de manière permanente à Tachkent, Polvanov Choukhrat Tagaïmouratovitch a été élu dans la circonscription de Samarkand, tandis que Temourkhanova Bibissanem Tadjibaïevna a été élue dans la circonscription n°2 de la République du Karakalpakistan.

           — Comment ont-ils pu réunir toutes les conditions nécessaires pour se présenter comme candidat pour les élections législatives dans ces circonscriptions électorales, alors qu’ils résident de manière permanente à Tachkent pour leurs activités judiciaires? 


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Alors que les autorités ouzbèkes mènent en apparence une réforme du système judiciaire, la dépendance de la Justice à l’égard de l’exécutif ne cesse de s’accroître. Ainsi, parmi les juges récemment élus députés figurent plusieurs membres de partis politiques, notamment du parti libéral-démocrate d‘Ouzbékistan. Dans le cas de Temirkhanova Bibissanem Tadjibaïevna, elle est tout à la fois inscrite comme membre du parti libéral démocrate d’Ouzbékistan (OuzLiDeP) sur la liste des députés du Oliï Majilis élus dans la circonscription électorale n°82, et sous la mention “sans parti”. Est-ce une erreur ou une manipulation?

Il apparaît comme évident que ces juges qui ont participé aux élections législatives, tout comme le directeur de la Commission électorale centrale M. Abdoussalomov, ne comprennent probablement pas ce que signifie exactement l’indépendance de la Justice. C’est en effet ce M. Abdoussalomov, juriste de formation, ancien président de la Haute Cour d’arbitrage de la République d’Ouzbékistan, et actuellement président de la Cour constitutionnelle d’Ouzbékistan, qui a permis la violation de principes constitutionnels fondamentaux.  

Le directeur du Centre national des droits de l’homme Akmal Saïdov se montre très actif dans son entreprise de convaincre les experts internationaux et des membres du Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies (ONU) de l’indépendance de la Justice en Ouzbékistan. Dans des rapports nationaux présentés aux organes exécutifs de l’ONU, A. Saïdov exhibe de longues listes de séminaires et de formations organisés pour les juges en fonction, listes mentionnées également en termes élogieux par le président d’Ouzbékistan Islam Karimov. La plupart de ces évènements sont mis sur pieds grâce aux financements versés par l’Union européenne et l’ONU dans le cadre de programmes d’aide.

Dans le cadre du Programme des Nations unies pour le développement (le PNUD - il fait partie des programmes et fonds de l’ONU. Son rôle est d'aider les pays membres dans le domaine du développement), l’Ouzbékistan reçoit une assistance technique pour mettre en place le projet intitulé “Réforme des procédures judiciaires civiles : une administration juridique effective” . Le projet consiste principalement à :
           créer des conditions favorables pour le développement approfondi des procédures civiles dans les domaines législatif et pratique.
           améliorer l’accès de la population à la Justice par la mise en place de procédures électroniques.
           améliorer la qualité des décisions de justice rendues et de leur application.
           développer des connaissances de la population concernant les moyens juridiques de défenses des droits des citoyens.
           perfectionner l’effectivité des procédures civiles.

Des représentants de l’agence de coopération internationale allemande pour le développement (Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit - GIZ), du bureau régional de la fondation Friedrich-Ebert, et de la filiale de l’organisation non-gouvernementale « Le dialogue régional » (Slovénie), de la Haute Commission en charge auprès du président Islam Karimov de la désignation des juges à la Haute Cour d’arbitrage de la République d’Ouzbékistan, ont participé à des évènements organisés dans le cadre de ce projet.

En 2011, dans la cadre de sa stratégie dans le domaine des droits de l’homme en Asie centrale, l’Union européenne a alloué une aide financière de 10 millions d’euros à l’Ouzbékistan pour réformer son système judiciaire. Des juges, dans le cadre d’une délégation gouvernementale, se sont même rendus en France pour échanger leurs expériences avec leurs confrères.

L’argent des contribuables de gouvernements démocratiques ont déjà été dépensés par millions pour la création d’un système de justice indépendant en Ouzbékistan. En vain, comme le montre l’élection de huit juges toujours en activité au Parlement ouzbek. Il est à nouveau prouvé que tous les dialogues sur les droits de l’homme et les projets intergouvernementaux mis en place dans le cadre du développement du système judiciaire en Ouzbékistan sont factices.